Atos : la note destinée à Macron qui détruit lhypothèse dune reprise par Kretinsky (CHALLENGES)
Dans une note rédigée par lancien directeur du CEA (Commissariat à lEnergie Atomique) et destinée à lElysée, Daniel Verwaerde défend lidée de souveraineté nationale en ce qui concerne le dossier Atos. Acteur influent dans le milieu du nucléaire, il estime que les choix actuels pourraient conduire à un « démantèlement fatal à lentreprise ».
Par Régis Soubrouillard le 20.09.2023 à 08h30 Lecture 5 min.
Le dossier Atos nen finit pas dattiser les passions dans les milieux de la politique et de la finance. Mais ce nest pas tout, la scission dAtos en deux parties et la vente dune dentre elles au milliardaire tchèque Daniel Kretinsky suscite également des réactions dans le secteur du nucléaire.
Ainsi, Challenges révèle une note adressée le 6 septembre dernier à lElysée et rédigée par Daniel Verwaerde, ancien administrateur du CEA (Commissariat à lEnergie Atomique), et toujours consulté par le Conseil de Politique Nucléaire qui défend lidée dun « plan de sauvetage dAtos alternatif aux menaces de démantèlement ». Atos et le CEA collaborent depuis de longues années pour la mise au point de supercalculateurs destinés à avoir des applications civiles ou militaires dans la simulation des essais et des armes nucléaires.
La préoccupation majeure de lauteur de la note, toujours très influent dans le secteur du nucléaire, concerne la « souveraineté numérique » de la France. Une préoccupation partagée par le groupe LR à lAssemblée nationale qui doit proposer cette semaine un amendement au projet de loi visant à réguler lespace numérique pour sécuriser les « entreprises stratégiques » en allant jusquà la nationalisation si nécessaire.
Atos, « fournisseur clef de la défense nationale »
Daniel Verwaerde ne va pas jusque là dans sa note même sil souhaite « attirer lattention sur la situation particulièrement critique que traverse lentreprise Atos qui doit être considérée comme une entreprise majeure de la souveraineté numérique de la France, avec les enjeux stratégiques qui découlent de cette situation. »
Lancien administrateur du CEA souhaite dabord rappeler que bien que coté en Bourse, le spécialiste de services du numérique « na plus aucun actionnaire de référence » et quil « est confronté à une détérioration grave de ses performances qui résulte de labsence de stratégie cohérente, dacquisitions ratées ou inopportunes et de problèmes de gestion ».
Une situation qui entrave, selon lui, « la capacité de lentreprise à innover, capacité qui avait fait sa réputation et qui lui a permis de sétablir comme le fournisseur clef de La Défense nationale, notamment de la Dissuasion, en matière de supercalculateurs et de cyber-technologies. » Un choix stratégique majeur qui remonte notamment à lacquisition de Bull en 2014 quand Atos était dirigée par Thierry Breton, aujourdhui commissaire européenne.
Atos BDS (ex-Bull) est considéré dans les milieux de la défense comme le seul constructeur français et européen capable de fournir de manière autonome les supercalculateurs dont le ministère des Armées a besoin pour la dissuasion nucléaire française et donc un enjeu majeur pour la souveraineté nationale.
Lhypothèse Kretinsky, un démantèlement fatal à lentreprise
En revanche, le constat de la note est sans appel sur les erreurs commises par les différentes directions dAtos sur la stratégie industrielle du groupe « inefficace » et des initiatives « malheureuses » qui sont en train de « conduire à la compromission des compétences les plus sensibles pour la dissuasion et à la remise en cause de lintégrité de lentreprise qui se traduisent aujourdhui par un projet de démantèlement ».
Sil ne cite pas lactuel président du conseil dadministration du groupe, Bertrand Meunier, ni le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, lex-administrateur du CEA dénonce clairement le projet de scission dAtos en deux entités, Eviden et TechFoundation, quil qualifie de « démantèlement ». Un démantèlement qui serait « fatal » à lentreprise s »il se réalisait et, corollaire classique, lexposerait à des tentatives multiples de prédations industrielles et financières. Sous-jacentes à cette situation, des contraintes financières qui résultent dune accumulation de déficits et de dettes sajoutent aux difficultés structurelles et lexposent à une cessation de paiement imminente ».
Daniel Verwaerde appelle donc lEtat à « marquer son désaccord de toute urgence » à la cession de TechFoundation à Daniel Kretinsky, actuellement en « négociations exclusives » avec Atos et conseille un « plan alternatif préservant lintégrité de lentreprise et assurant son développement à moyen terme ».
Dabord, selon lui, « les deux divisions qui constituent en effet aujourdhui Atos, Eviden et TechFoundation, ne pourront pas se développer lune sans lautre. » Une façon précise de contester le plan élaboré par lactuelle direction dAtos : Il précise : « Effectuer une scission de lensemble pour céder le contrôle de lune ou lautre de ces divisions conduirait à la mort certaine des deux à relativement court terme. Une telle stratégie est de plus inacceptable par les banques créancières ».
Un risque également pointé par les petits actionnaires dAtos dont certains redoutent une procédure de sauvegarde sur une des filiales pour éviter le dépôt de bilan.
Une restructuration pour se concentrer sur les activités stratégiques du groupe
Pour échapper à cette issue critique, lauteur préconise un plan en cinq points qui comprend une atténuation de la pression financière sur lentreprise par une augmentation de capital dun milliard deuros, un nouveau pacte dactionnaires qui pourrait comprendre un ou deux acteurs reconnus de la défense le groupe Thales est régulièrement cité -, du numérique et de la cyber français associés avec un investisseur institutionnel, une gouvernance rénovée tant au niveau de la direction que du conseil dadministration une façon « diplomate » de dire que lactuelle direction dAtos devrait sauter. Mais également une restructuration profonde de l »entreprise qui devra se focaliser sur ses activités stratégiques, ce qui pourrait conduire à une division par trois de lactuelle taille dAtos.
En conclusion, lauteur de la note estime que « la gravité de la situation dAtos appelle une réponse immédiate et concertée de lÉtat avec les initiateurs de ce plan et toutes les parties intéressées pour préserver les intérêts stratégiques de la France en matière industrielle et de souveraineté ». Une façon claire de privilégier une solution 100% française dans la restructuration dAtos.