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Loi immigration : la majorité fracturée, est-ce la fin du "en même temps" ?
information fournie par Boursorama avec Media Services 20/12/2023 à 09:02

Le texte a été adopté mardi soir dans la douleur, avec le soutien du Rassemblement national. De quoi tordre l'estomac de l'aile gauche du camp présidentiel et du MoDem de François Bayrou. Des ministres vont jusqu'à mettre leur démission dans la balance. Emmanuel Macron avait pourtant bâti son pouvoir à l'Élysée avec comme contre-modèle absolu son prédécesseur François Hollande et ses frondeurs du PS.

Le député Renaissance Sacha Houlié, président de la Commission des lois de l'Assemblée nationale, lors d'un débat sur le projet de loi immigration, à l'Assemblée à Paris le 19 décembre 2023.  ( AFP / LUDOVIC MARIN )

Le député Renaissance Sacha Houlié, président de la Commission des lois de l'Assemblée nationale, lors d'un débat sur le projet de loi immigration, à l'Assemblée à Paris le 19 décembre 2023. ( AFP / LUDOVIC MARIN )

Philippe Grangeon est un des cofondateurs d'En Marche en 2016. Ancien conseiller spécial du président Macron, ex-cadre de la CFDT. "Si j'étais parlementaire, je voterais avec tristesse contre" la loi immigration, a-t-il déclaré à l' AFP . Selon lui, ce texte "tourne le dos au logiciel doctrinal de 2017 et aux valeurs humanistes" . La voix de Philippe Grangeon n'est pas isolée. "Il ne fait aucun doute que la majorité va se fracturer sur ce texte. Le MoDem déjà. Et Renaissance, bien sûr. Le problème c'est que vous avez de plus en plus de macronisme par affection, et de moins en moins par conviction. Et sur le terrain de la conviction, il y en a qui n'en peuvent plus", expliquait avant le scrutin un proche du président.

"La majorité a été solide", juge de son côté le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin. Mais le résultat esquisse un tableau moins positif : sur 170 députés Renaissance, 131 députés ont voté pour, vingt se sont abstenus et 17 ont voté contre , dont le président de la commission des Lois Sacha Houlié, les anciens ministres Stéphane Travert et Nadia Hai et l'ex-président du groupe Gilles Le Gendre. Soit, en ajoutant les députés Horizons et MoDem, 59 défections , contrebalancées par les 62 voix favorables des Républicains (LR).

Le ministre de la Santé a posé sa démission

Une opposition partagée par les députés apparentés Renaissance du parti de l'aile gauche En Commun. Parmi eux, la députée Stella Dupont avait dénoncé "une ligne rouge majeure" franchie, sur la question des allocations familiales et des aides au logement pour les étrangers. Selon une source ministérielle, trois ministres -Aurélien Rousseau, Sylvie Retailleau, Patrice Vergriete - avaient également mis leur démission dans la balance après l'accord en Commission mixte paritaire entre la majorité et la droite, qui a immédiatement reçu le soutien du Rassemblement national. De source ministérielle, le ministre de la Santé Aurélien Rousseau a déposé mardi soir une lettre de démission à la Première ministre Élisabeth Borne. Elle n'a pas annoncé si elle l'acceptait.

Sorte de pont entre la majorité et le centre-gauche réfractaire à la Nupes, la Fédération progressiste de l'ancien ministre socialiste François Rebsamen avait réclamé de voter contre le texte. Et prône surtout la création d'un "groupe progressiste à l'Assemblée" pour "défendre les valeurs humanistes". Jusqu'aux Jeunes avec Macron , qui avaient appelé les parlementaires et les ministres à s'opposer à un texte "qui contreviendrait aux valeurs et aux orientations de notre famille politique".

Pression

Ironie de l'histoire ou continuité politique, c'est sur l'immigration, déjà, que la majorité macroniste s'était pour la première fois fissurée, en 2018 . Quatorze députés du groupe s'étaient abstenus sur le projet de loi de Gérard Collomb, et un député -Jean-Michel Clément - avait voté contre, devançant l'exclusion en quittant le groupe. Une péripétie à l'époque de la majorité absolue, mais qui était déjà prise au sérieux. "Abstention, péché véniel, vote contre, péché mortel", théorisait alors le macroniste en chef de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand.

Depuis, les députés du camp présidentiel ont connu la crise des "gilets jaunes", la perte de la majorité absolue, le 49.3 déclenché sur la retraite à 64 ans. Déjà à l'époque des retraites, les réfractaires avaient fait l'objet d'une forte pression. "On nous a dit que c'était une question d'appartenance à la majorité. On a eu le droit à la totale, 'si vous ne votez pas, il y aura dissolution, vous serez responsable de l'accession au pouvoir de Marine Le Pen' ", expliquait alors une des députées récalcitrantes.

La majorité éclatée

Mardi, la majorité jouait encore gros. Après la stupeur de l'annonce du vote favorable du RN et une réunion de crise à l'Élysée, Elisabeth Borne avait exhorté les députés Renaissance à ne pas tomber dans ce "piège grossier" et à approuver le texte. Du côté des alliés, Horizons, le parti d'Édouard Philippe, a très largement approuvé le texte - 28 pour, 2 contre -. Le MoDem s'est divisé : trente députés centristes ont voté pour, 5 contre et 15 abstentions. Le président du groupe Jean-Paul Mattei, qui s'est abstenu, avait laissé les députés "libres de leur vote". Allié historique du président, le patron du MoDem François Bayrou avait fait savoir qu'il n'accepterait pas une loi sur l'immigration "revendiquée par le RN" . Sans aller jusqu'à la rupture avec le chef de l’État.

La crise signe-t-elle la fin du en même temps ? Sur le papier, l'image était belle : un ministre venu de la droite, un autre venu de la gauche, présentant de concert à l'automne 2022 leur texte sur l'immigration et l'intégration , comme l'emblème du "en même temps" cher à Emmanuel Macron. Mais rien ne s'est passé comme prévu. Ou plutôt si, tant certains dans le camp présidentiel ont rapidement compris que la deuxième loi phare de ce second quinquennat, après celle déjà ultra controversée sur la retraite à 64 ans, était "mal barrée". Et dépendrait du bon vouloir de la droite, elle-même engagée, selon le mot d'un conseiller de l'exécutif dès janvier, dans une "course à l'échalote" avec l'extrême droite "pour la mesure la plus radicale".

Darmanin et Dussopt pour porter le "dépassement"

2 novembre 2022. Dans Le Monde , la double interview des ministres de l'Intérieur et du Travail, Gérald Darmanin et Olivier Dussopt , résume "l'équilibre" du projet de loi. L'affiche a de l'allure : ce sont deux des principales prises d'Emmanuel Macron après son élection de 2017, le premier à droite, le second à gauche, qui portent le "dépassement" des clivages partisans prôné par le président. Gérald Darmanin vante un durcissement sur les expulsions d'immigrés clandestins; Olivier Dussopt propose un nouveau titre de séjour pour régulariser les sans-papiers travaillant dans les "métiers en tension".

"Gentil avec les gentils, méchant avec les méchants" , selon l'expression fétiche du ministre de l'Intérieur. "Du vrai 'en même temps'", abonde une ministre, désireuse de montrer que le macronisme n'est pas "du centrisme mou". Mais les premières réactions ne présagent rien de bon. Le parti LR, force d'appoint espérée par l'exécutif qui, depuis juin 2022, n'a plus qu'une majorité relative à l'Assemblée, dénonce un "appel d'air" qui va "augmenter" l'immigration. La mise en scène du duo Darmanin-Dussopt, "c'était un bon coup médiatique, mais ça ne marche pas", constate alors un allié parlementaire du président. "Parce qu'il reste une droite et une gauche dans ce pays." Discrètement, le ministre du Travail disparaît de l'affiche. Le premier flic de France reste seul en scène , pour défendre sa fermeté face à une droite bien décidée à faire monter les enchères.

Sujet sensible pour Macron

Car LR aussi a un coup médiatique dans sa manche. À la Une du Journal du dimanche en mai, les trois chefs d'un parti qui s'est déchiré sur les retraites, Éric Ciotti, Bruno Retailleau et Olivier Marleix, avancent ensemble leurs propositions à droite toute sur l'immigration , font des régularisations un tabou et vont jusqu'à menacer de faire tomber le gouvernement.

Emmanuel Macron, qui veut se relancer au printemps après l'hiver des retraites, tergiverse, envisage de saucissonner le texte puis y renonce, et demande à Gérald Darmanin de trouver une voie de passage. Pour le président, le sujet est sensible. Pendant son premier mandat, la loi asile-immigration a mis à rude épreuve sa majorité, dont les élus venus de la gauche n'ont pas tous apprécié son volet restrictif. Les stratèges de la macronie veulent croire que depuis 2022, ses "électeurs sont un peu plus à droite", ainsi que le groupe de députés, comme le dit l'un d'eux. Tous s'en remettent à "Gérald". Aucun ne se risque à un pari sur le sort de la loi.

Le piège se referme

Les mois passent, les concertations sont discrètes. La droite reste inflexible , mais le ministre de l'Intérieur affiche son optimisme. Et, par petites touches, entame le bal des concessions. Quand le projet de loi arrive dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale le 11 décembre, Gérald Darmanin se veut confiant : si le Sénat à majorité de droite a nettement durci le texte, il a retrouvé l'équilibre voulu par son camp en commission au Palais Bourbon.

Mais le piège se referme. Comme un coup de tonnerre, le texte est rejeté d'emblée par une improbable alliance entre la gauche qui le juge trop dur et la droite et l'extrême droite qui en dénoncent le laxisme. L'exécutif n'a rien vu venir. Emmanuel Macron impose un dénouement accéléré, avant Noël, lui qui ne veut pas voir parasité l'énigmatique "rendez-vous avec la Nation" qu'il a donné en janvier aux Français, toujours en quête d'un nouvel élan. C'est Élisabeth Borne qu'il charge de trouver un "compromis intelligent", dont dépendra, de son propre aveu, sa "capacité à continuer" à réformer. "Le président est déterminé à aller chercher un texte", glisse un cadre macroniste. "À tout prix", complète un député du même camp.

"C'est une tragédie grecque"

La Première ministre engage alors des tractations frénétiques avec LR , en contact avec Emmanuel Macron. Elle sait qu'elle risque son poste, et enchaîne aussi les concessions pour arracher un accord, quitte à aboutir à une mouture largement inspirée par la droite. Le dénouement arrive mardi, après d'ultimes rebondissements. Sous les huées de la gauche qui crie à la "compromission" avec l'extrême droite, un texte est adopté par un conclave de députés et sénateurs. Marine Le Pen annonce qu'ainsi durci, le projet est une "victoire idéologique du Rassemblement national" , qui vote pour.

De quoi tordre l'estomac de l'aile gauche du camp présidentiel. "Le RN nous fait le baiser du diable", mais "les Français attendent une réponse forte" sur l'immigration, veut croire le cadre macroniste. Dans une ultime réunion de crise en son palais, Emmanuel Macron trouve un subterfuge constitutionnel rarement utilisé pour limiter la casse : si le texte passe uniquement grâce aux députés du RN, il demandera une deuxième délibération parlementaire. Pari à moitié réussi à l'issue du vote, selon les modes de calcul. La loi est largement adoptée, mais la macronie s'est fracturée comme jamais : 59 députés lui ont fait défaut. "C'est une tragédie grecque" , peste un très proche du président.

17 commentaires

  • 20 décembre 17:24

    J'invite les associations à porter plainte contre tous les conseils départementaux et régionaux , et toutes autres structures qui n'appliqueraient pas les préceptes de la loi immigration, aussi minime soit elle.


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